Le 12 février 2013, le journaliste Tao Haijun, via Weibo, a appelé l'ensemble de la population à
prendre des clichés, au moyen d'un téléphone portable ou d'un appareil
photo, d'exemples de pollution de l'eau observés dans leur vie
quotidienne. Il a ensuite lancé le mouvement d'intérêt public
"Sauvegarder les Mères rivières", publiant sur le site de microblogging
les photos envoyées par les participants. Un mois après le coup d'envoi,
il avait déjà reçu d'une centaine d'internautes plus de 500 photos
mettant en évidence la pollution de l'eau dans divers endroits du pays.
Le nombre de zones et de rivières concernées dépassaient largement les
prévisions de Tao Haijun. "La pollution est si grave dans certains lieux que la seule vue de la situation est criante de vérité. Pas besoin d'enquête", avait-il déclaré. "Par la collection des clichés, nous constatons que les rivières
dispersées aux quatre coins du pays sont toutes en train de “pleurer” :
celles du Guangdong, du Guangxi, du Yunnan, du Henan, du Hubei, du
Hunan, de Chongqing, du Fujian, du Shandong, de Tianjin, du Shanxi et de
la Mongolie intérieure. En ce qui concerne les sept systèmes fluviaux,
une bonne partie des réserves en eau potable ont été victimes de
pollutions à différents degrés. Les dégâts subis par les rivières
traversant les villes sont encore plus inquiétants."
Une question incontournable
– Selon des statistiques, 2 millions de nouveaux cas de cancer sont
dépistés chaque année en Chine, provoquant la mort de 1,4 millions de
personnes. Le cancer est aussi responsable d'un décès sur cinq dans le
pays. Les tumeurs malignes, avant même les maladies cardiovasculaires,
sont devenues la première cause de mortalité dans la plupart des grandes
villes du pays, À dessein d'étudier le rapport entre la pollution
hydrique et le développement des cancers, l'enquête sur la corrélation
entre la pollution de l'eau et les tumeurs dans le bassin de la rivière
Huaihe, menée par le professeur Yang Gonghuan du Peking Union Medical
College, a officiellement été initiée en juillet 2005. Les médias
chinois et étrangers font fréquemment le procès du bassin de la rivière
Huaihe, à cause de l'émergence perpétuelle de "villages du cancer".
Pendant sept ans, Yang Gonghuan a rassemblé les chiffres concernant la
pollution de l'eau du bassin, ainsi que les cas de cancer survenus
depuis 1973. Il en résulte que la forte incidence des cancers se
concentre autour de pôles, tous situés très près des sources d'eau
polluées, ce qui tenderait à prouver le lien de causalité entre les deux
phénomènes. "Le terme de pollution mentionnée ci-dessus regroupe non
seulement celle découlant des industries, mais aussi celle liée à
l'agriculture et à la vie quotidienne. L'apparition des cancers n'est
pas le résultat d'un seul facteur. Au-delà de l'impact des produits
chimiques industriels, d'autres éléments entreraient en jeu, et les
effets conjoints des divers facteurs suivent parfois la formule
1+1>2", indique le professeur.
Si l'état des eaux de surface est alarmant, la situation des eaux souterraines l'est d'autant plus.
Selon le "Communiqué sur le territoire et les ressources de la Chine de
l'année 2012" publié le 20 avril par le ministère chinois du Territoire
et des Ressources, qui recense 4 929 points de surveillance répartis
dans les régions administratives de 198 préfectures, près de 60 % des
eaux souterraines sont considérées comme "mauvaises", et 16,8 % sont jugées "extrêmement mauvaises".
Les eaux souterraines comptent pour 20 % de la consommation totale
d'eau en Chine ; au Nord, principalement à Beijing et au Hebei, les
nappes phréatiques représentent plus de 50 % de la totalité de l'eau
utilisée pour la production industrielle, l'agriculture et la
consommation domestique. "Le degré de gravité sévère dont pâtissent
les eaux souterraines, hors de la vue des gens ordinaires, est longtemps
resté ignoré. Pourtant, leur renouvellement est en réalité bien plus
difficile que celui des eaux de surface. La pollution est
quasi-irréversible, surtout pour les eaux souterraines profondes",
précise Ma Jun, directeur de l'Institut des affaires publiques et
environnementales. Par le passé, on estimait que nécessairement, le
développement économique se ferait au détriment de l'environnement. Le
rapport entre l'essor économique et la disponibilité en eau est déjà
entré dans un cercle vicieux aujourd'hui : la pénurie d'eau freine la
croissance économique de la Chine, tout comme les coûts sanitaires
induits par la pollution hydrique. La crise de l'eau est devenue un
problème incontournable en Chine.
Diverses parties en action
– Le gouvernement chinois s'est progressivement rendu compte de la
gravité du sujet. En juillet 2007, en vue de promouvoir le "crédit
vert", le ministère de la Protection de l'environnement, la Banque
populaire de Chine et la Commission de régulation bancaire de Chine ont
publié conjointement la "Proposition sur le renforcement des politiques
et des règlements environnementaux et sur la sécurité des crédits
financiers". Depuis, des institutions financières ont manifestement
appuyé leur soutien aux prêts destinés aux projets environnementaux,
tels que ceux ayant trait au traitement des eaux usées et à
l'utilisation générale des ressources. Le nombre de crédits pour le
financement de projets écologiques, couvrant entre autres l'économie
d'énergie, la réduction des émissions et la mise à niveau technologique,
a considérablement augmenté, tandis que les crédits accordés aux
industries polluantes et gourmandes en énergie ont accusé une baisse
continue. En janvier 2012, le Conseil des affaires d'État a publié la
"Proposition sur la mise en œuvre d'un système strict de gouvernance des
ressources en eau" et e 2 janvier 2013, le Bureau général du Conseil
des affaires d'État a présenté les méthodes d'évaluation de
l'application du système. Trois éléments doivent être pris en compte
pour juger si les gouvernements respectent bien les normes : la quantité
totale d'eau utilisée par chacune des provinces, l'utilisation
appropriée de l'eau et la qualité des ressources hydriques provenant des
rivières et lacs importants. Un mois plus tard, le ministère chinois de
la Protection de l'environnement a communiqué le XIIe plan quinquennal
pour la prévention et le contrôle des risques environnementaux liés aux
produits chimiques. On peut lire dans ce texte : "La prévention et la
surveillance de la pollution causée par les produits chimiques en Chine
sont assez sévères. Au cours du XIIe plan quinquennal, il faudra
ajuster la répartition des points de vérification, perfectionner la
gouvernance, contrôler les émissions de polluants et développer les
capacités de supervision. Il faudra appeler à la construction d'un
système de prévention et de contrôle des risques environnementaux qui
soit effectif tout au long du processus de fabrication des composés
chimiques. Il faudra réduire le nombre de cas d'urgence
environnementale."
Un autre phénomène mérite d'être souligné :
des organisations environnementales publiques et privées jouent aussi un
rôle d'inspecteur, devenant une force importante pour exhorter les
sociétés hors-la-loi à suspendre leurs rejets illicites. Selon Ma Jun,
ancien journaliste investigateur et auteur du livre La crise de l'eau en Chine,
la Chine ne manque pas de technologies ni de capitaux pour freiner la
pollution de l'eau, mais de motivation. Les sanctions juridiques
s'élevant à des montants médiocres du fait de l'application laxiste des
lois, les entreprises préfèrent payer une amende plutôt que de rectifier
leur pollution excessive. Dans ces circonstances, Ma Jun a décidé de
faire connaître la situation au public, de sorte à ce que l'opinion
publique exerce une pression sur les sociétés et les pousse à opérer des
changements et à assumer leur responsabilité sociale. Après avoir fondé
en 2006 l'Institut des affaires publiques et environnementales, Ma Jun
s'est mis à répertorier sur une carte électronique les données
environnementales publiées à divers endroits par les gouvernements.
Aujourd'hui, en prenant connaissance de la Carte sur la pollution de l'eau en Chine
en ligne, les résidents de nombreuses villes peuvent avoir un aperçu de
l'état de l'eau dans leur propre localité et même découvrir l'origine
de la pollution hydrique. Cette carte, dont les informations dévoilent
au grand jour les actes illégaux des sociétés, ont eu de grandes
répercussions sociales. Le public a commencé à dénoncer activement les
cas d'émissions illicites. Les institutions environnementales se sont
mises à examiner avec une grande attention les sociétés problématiques.
Ma Jun a également reçu dans son bureau de nombreux dirigeants
d'entreprises. Plus de 870 sociétés, chinoises comme internationales,
ont actuellement fourni des explications sur leurs agissements et changé
leur mode opératoire pour régler les problèmes. La société américaine
Apple, qui avait d'abord gardé le silence face à ces accusations, a
ensuite appelé ses fournisseurs à changer leurs pratiques.
Monsieur Ma Jun a depuis établi l'Alliance verte, qui regroupe 47 organisations
environnementales chinoises et étrangères. Ces organismes sont chacun
spécialisés dans différents domaines : étude de la pollution, formation
écologique à destination des entreprises, relations médiatiques,
recherches pour une protection environnementale efficace. Cependant,
elles manifestent le souhait commun de construire une plateforme neutre
mettant en lien sociétés et population. Par le biais de la cartographie
numérique et de la supervision de leurs déversements dans les rivières,
elles tiennent également à guider les entreprises vers les industries
vertes pour qu'elles fassent des choix écologiques lors de la recherche
de fournisseurs, d'investisseurs et de partenaires. En avril 2012, Ma
Jun a été l'un des six lauréats internationaux du prix Goldman pour
l'environnement.
La route est encore longue – 120 000 exemples de pollutions enregistrées sur la Carte sur la pollution de
l'eau n'ont pas été commentés par leurs auteurs. Ma Jun le reconnaît,
bien que quelques cas particuliers aient été résolus, la qualité globale
de l'environnement n'a pas été améliorée de manière significative, et
le point d'inflexion est loin d'être atteint.
L'Institut des affaires publiques et environnementales, Friends of Nature et les Cols verts de
Tianjin ont récemment déposé une demande auprès des autorités en charge
de la protection de l'environnement à Beijing, Tianjin et au Hebei, dans
l'espoir d'obtenir l'autorisation de révéler sur Internet en temps réel
les données résultant de la supervision des principales entreprises
polluantes. Le Bureau de protection de l'environnement de la
municipalité de Beijing est celui qui a répondu le plus promptement,
entendant forcer les entreprises étatiques à publier d'ici la fin de
l'année les résultats de cette vérification. Un obstacle subsiste : en
Chine, ni les ONG ni les individus n'ont la faculté d'entamer des
poursuites judiciaires en matière de pollution environnementale. De
surcroît, dans ce domaine, il est difficile de constituer un dossier,
comme de procéder à des enquêtes et expertises.
Abritant 20 % de la
population mondiale mais seulement 7 % des ressources d'eau douce de la
planète, la Chine est l'un des pays les plus pauvres au monde en termes
de ressources hydriques. Malheureusement, les réserves limitées sont
aujourd'hui menacées par le rejet de polluants.
Li Yuan – French.china.org.cn 03-07-2013